Maternité féministe et déconstruction des injonctions genrées en Guadeloupe

Ma maternité, comme beaucoup d’autres de mes expériences de vie, est traversée par des injonctions et des normes sociales diverses. En Guadeloupe, ces injonctions genrées prennent des formes parfois invisibles mais profondément ancrées. Être un "poto mitan", "bien tenir sa maison" ou encore “ne pas faire d’esclandre” sont des attentes souvent répétées, presque sans questionnement. Mais que se passe-t-il quand on choisit de remettre en cause ces injonctions et d’embrasser une maternité féministe ?

Dans cet article, je partage avec vous une partie de ma déconstruction, non seulement en tant que femme et mère, mais aussi en tant que féministe. Ce sont mes bases et mon expérience, non une vérité absolue !

Mais selon moi, il est crucial d’ébranler ces normes genrées pour ouvrir la voie à une parentalité plus libre et alignée sur nos valeurs.

« Ce n’est pas aux enfants de porter le poids des attentes genrées, mais aux parents de leur offrir la liberté d’être pleinement elles/eux-mêmes. »
— Moi-même

Des injonctions genrées à la croisée des cultures

En tant que Guadeloupéenne, j’évolue dans une société où les rôles de genre sont à la fois influencés par l’héritage colonial, la religion imposée depuis la période esclavagiste et nos traditions locales, acquises du mélange “natif:ves Kalinagos/esclavagisé:es Africain:es”. Ces influences façonnent une vision souvent rigide de ce que signifie être mère, en réponse notamment aux divers traumas créés par plus de 400 ans de déshumanisation.

Pour les femmes : Être toujours disponibles, douces, sacrificielles. On nous demande de prioriser les besoins de nos enfants, de nos partenaires, parfois de toute la famille, au détriment de nous-mêmes. Ce sacrifice est vu comme un dû envers toute la société, une norme à ne pas bouleverser. Notre corps, nos émotions et nos pensées appartiennent au peuple.

Pour les hommes : On tolère leur distance émotionnelle et leur participation "optionnelle" à l’éducation. Ce sont les pourvoyeurs économiques, rarement perçus comme des partenaires égaux dans la charge mentale ou domestique. Les différentes études sociologiques ont d’ailleurs réussi à prouver la place de l’esclavage dans cette construction identitaire, qui met à mal toute une communauté. Lorsque l’homme Noir esclavagisé a été systématiquement retiré de son foyer pour permettre au maître de jouir du corps de la femme durant la nuit, il a fini par ancrer en son esprit qu’il ne pouvait être “efficace” qu’à l’extérieur ou en assurant le matériel.

A travers mes déconstructions féministes et décoloniales, j’ai compris que ces attentes sont non seulement oppressives, mais qu’elles transmettent à nos enfants une vision biaisée de leur place dans le monde.

Déconstruire pour mieux reconstruire

La maternité féministe, selon moi, commence par un travail sur soi. Questionner les injonctions que l’on a intégrées sans même s’en rendre compte est un acte d’amour et de rébellion, envers et pour soi.

1. Briser le mythe de la "mère parfaite"

Le plus gros point que j’ai eu à déconstruire a été d’accepter que je ne peux pas tout faire, tout le temps.

J’ai grandi avec l’exemple de cette mère sacrificielle, toujours disponible, même dans la maladie. Présente dans chaque “pôle” de la maison : éducation, entretien domestique, à supporter la charge émotionnelle du mari et des enfants, assumant ainsi une charge mentale incommensurable. J’ai donc reproduit longtemps, dans chacune de mes longues relations de couple et les premières années de ma maternité.

C’est pourquoi les exemples les plus significatifs de mon évolution se sont traduits par la décision consciente de prendre du temps pour moi sans culpabiliser, expliquer à ma fille que je suis humaine, avec des limites et enfin lâcher prise sur certaines tâches domestiques qui pouvaient attendre.

2. Impliquer activement les pères et figures parentales

Un père affectueux avec son enfant déconstruction parentalité

Non, la parentalité féministe n’est pas une charge exclusive aux mères. Elle signifie aussi ouvrir des discussions dans le couple hétérosexuel, partager la charge mentale et inclure les figures masculines dans l’éducation émotionnelle des enfants.

Alors, dis comme ça, c’est simple…

Mais il est vrai qu’être ouvert à un schéma différent, de celui que l’on a connu dans la maison de ses parents, demande une véritable intelligence émotionnelle. Et ce serait mentir que dire aujourd’hui encore, que nos partenaires sont armés à ce niveau, pour la grande majorité. Il nous revient finalement d’assumer, encore une fois, la responsabilité du mieux-être de la famille et du couple.

De fait, la déconstruction doit également être prise en charge par l’homme, dans son rôle de père et de compagnon.

3. Élever des enfants libres des stéréotypes

A l’opposé de l’éducation que j’ai reçue, j’ai appris à encourager ma fille à exprimer ses émotions sans honte et à les vivre pleinement. Une démarche essentielle pour défaire l'idée que la sensibilité est une faiblesse ou une caractéristique féminine. En tant qu’hypersensible moi-même, j’avais besoin de lui transmettre que ses émotions ne sont ni un fardeau ni un obstacle, mais bien sa meilleure force.

Quant au fait de ne pas limiter ses rêves à des "rôles féminins", lorsqu’elle m’évoquait l’envie de devenir pilote de ligne, comédienne ou cheffe d’entreprise, ma mission a toujours été de soutenir ses aspirations, sans projeter sur elle des attentes dictées par son genre.
Chaque échange est, encore aujourd’hui, l’occasion de débat sur la représentation des femmes dans différents domaines - moyen efficace d’éveiller son sens critique d’ailleurs -, mais j’ai aussi pris des décisions concrètes, dès son enfance, sur ses jeux, ses lectures ou des modèles qui brisent les clichés.
L’intersectionnalité d’être une jeune fille, Noire et originaire d’une colonie de la Caraïbe, impliquait obligatoirement qu’elle se sente représentée et valorisée dans l’environnement qui l’entourait.

Enfin, j’ai appris à respecter son silence ou sa colère lorsqu’elle désapprouve certaines de mes décisions. Si, au début, cela m’irritait, j’ai fini par comprendre qu’il s’agit là d’un moyen pour elle d’affirmer son autonomie. Ces “tempêtes” ne sont pas un rejet, mais un espace qu’elle se crée pour traiter ses émotions ou clarifier ses pensées. En choisissant de l’accueillir avec bienveillance, je lui montre que toutes ses formes d’expression ont de la valeur. Cela nous aide à construire une relation basée sur le respect mutuel et la reconnaissance de nos individualités.

Alors, il ne faut pas croire, je grandis en même temps qu’elle ! Et je continue à faire des erreurs ou revenir aux schémas qui me sont intrinsèques, malgré moi.

La seule évidence qui me rassure, dans ce travail quotidien, est de l’observer et prendre conscience qu’elle est bien plus ancrée que moi, au même âge.

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L’intersectionnalité d’être une jeune fille, Noire et originaire d’une colonie de la Caraïbe, implique que ma fille doive se sentir représentée et valorisée dans son environnement.

Pourquoi cela est essentiel dans notre archipel Guadeloupéen ?

Dans un contexte postcolonial comme le nôtre, la reproduction des normes genrées n’est pas qu’une affaire personnelle mais une question politique. Ces injonctions renforcent les rapports de pouvoir et perpétuent les inégalités, en particulier pour nous, femmes Noires et métisses.

Déconstruire les rôles genrés dans nos foyers a un impact collectif. Celui de :

  • Libérer les futures générations des carcans qui limitent leurs aspirations.

  • Remettre en question les structures patriarcales donc coloniales.

  • Renforcer nos liens communautaires, car une société où chacun est libre de s’épanouir pleinement est moins en colère et perdue.

 

Pour conclure, la maternité féministe n’est pas un chemin facile, bien loin de là et j’ai conscience que les difficultés sont systémiques.

Cela demande du courage, des discussions honnêtes, souvent de nager à contre-courant et notre génération devient celle qui brise les cycles traumatiques. C’est une lourde charge émotionnelle qui repose sur nos épaules.
Mais lorsque je vois les bienfaits, autour de moi comme sous mon toit, je suis absolument convaincue qu’il est plus qu’urgent et nécessaire d’oeuvrer en ce sens.

 

Bon, je m’arrête là pour ce tout premier article ! Pas des moindres, quand même… Mais je suis curieuse de savoir : vous, quelles injonctions avez-vous choisies de remettre en question dans votre quotidien ?
Partagez votre expérience en commentaire ou sur Instagram, où j’échange régulièrement sur ce sujet avec ma communauté.
Réinventons ce que signifie être parent en Guadeloupe, avec nos valeurs et notre amour comme boussole, plutôt qu’une croix que l’on n’a pas méritée.

Allez, an té la ! À bientôt pour un nouvel échange plein de sororité et d’inspiration.

. Lanmou .